L'auteure
Idée reçue n°1: Amélie Nothomb, écrivaine belge, graphomane, à chapeaux, à champagne, publie chaque année depuis 20 ans, chez Albin Michel, un roman qui se vend toujours très bien.
Idée reçue n°2: après les grands livres que sont Hygiène de l'assassin (1992), Stupeur et tremblement (1999), ou Métaphysique des tubes (2000) - liste variable mais qui s'interrompt toujours au milieu des années 2000 - , le Nothomb nouveau ne vaut ni plus ni moins que le Beaujolais homonyme. Et son prochain grand livre se fait désespérement attendre.
Le livre
Comme elle l'explique à l'Est républicain, "Barbe bleue" est le conte préféré d'Amélie. Mais elle déplore que Charles Perrault présente son personnage principal "comme un pur monstre, sans explication". Explications qu'elle se propose donc de donner dans ce nouveau roman, Barbe bleue. Son héroïne, Saturnine (soit "fille de Saturne", le dieu qui dévore ses enfants) devient la colocataire de don Elemirio Nibal y Milcar, grand d'Espagne, alors que les huit autres femmes qui l'ont précédée ont disparu.
Les extraits
P.98 Après cette nuit blanche, ses yeux se fermèrent et la jeune femme sombra dans une inconscience pleine de phrases: "La mort n'est pas une disparition", "D'où tirez-vous que je les châtie?", "Je suis doux comme un agneau", "Je suis inoffensif".
p.99 Il ne les a pas tuées! Les colocataires ont disparu, ça les regarde, sans doute ne sait-il pas où elles sont!
Même le sinistre "Si vous entriez dans cette chambre, je le saurais et il vous en cuirait" n'était pas une menace, mais un avertissement.
Saturnine se demanda s'il était possible de cacher un secret terrifiant sans être coupable. Il lui parut que oui.
P.100 Saturnine en conclut qu'elle était amoureuse d'un malade mental, d'un homme infatué, d'un être parfaitement biscornu, mais pas d'un assassin.
Notre lecture
Magie de la page 99! Nous sommes tombés sur un moment-clé. Saturnine est en train de vivre son syndrome de Stockholm. Don Elemirio se défend d'être responsable de la disparition de ses colocataires successives. Saturnine se montre sensible à ses raisons. Le loup était un "agneau". Elle est amoureuse d'un "malade mental", mais pas d'un "assassin". Il aura donc fallu 100 pages pour que cette malheureuse méprise se dissipe. Que se passera-t-il dans les 80 pages qui suivent?
Ce retournement qui voit l'otage tomber sous le charme de son geôlier semble convenu. Mais l'écriture d'Amélie est agréable, sèche et sans complaisance. Des phrases courtes et cinglantes: "Il lui parut que oui"; un usage rythmé des points d'interrogation et d'exclamation ("Il ne les a pas tuées! [...] sans doute ne sait-il pas où elles sont!") ; des virgules tombant parfaitement; un vocabulaire légèrement recherché ("un homme infatué"), mais toujours clair et précis. Reste à savoir si le "terrifiant secret" de don Elemirio est si secret et terrifiant que cela.
Le verdict
Comme certains vins nouveaux, Barbe bleue se laisse lire. Si l'on se fie à ces quelques pages, il est moins sûr qu'il marque durablement les esprits. Il y a fort à parier que critiques et lecteurs continueront inlassablement d'attendre le grand chef-d'oeuvre d'Amélie, après Hygiène de l'assassin, Stupeur et tremblement, Métaphysique des tubes, etc...
Source :
http://www.lexpress.fr/culture/livre/barbe-bleue-le-nouveau-nothomb-passe-le-test-de-la-page-99_1138811.html